Si vous avez lu mon aventure éthiopienne, vous vous en doutez sûrement que j’étais impatient d’arriver au Kenya.
Directement je vois le changement, les Kényans sont plus discrets, moins arrogants. Quoi qu’ici à Moyale, la ville frontière, les Éthiopiens sont toujours très présents. En effet la frontière est une vraie passoire, personne ne contrôle personne.
Arrivé à 14h00, je dois attendre une demi-heure les officiers de douanes partis en pause-déjeuner. Je sympathise avec une femme militaire qui fait la garde. Elle très rigolote et on passe un bon moment. J’apprends avec elle les bases du swahili même si ici on parle officiellement l’anglais, mais j’aime bien apprendre les langues locales.
Une fois mon passeport affranchi d’un nouveau tampon, je décide de me diriger vers la mission catholique de Moyale, afin de me reposer et prendre la température du pays. Je suis accueilli par le généreux père Edouan. Je peux suspendre mon hamac dans une petite cabane et passe deux jours avec eux. Autour de bières et de bons repas j’en apprends plus sur la situation du pays.
La route que j’ai décidé d’emprunter était connu il y a encore quelques années pour ses bandits. Depuis, une route bitumée traverse presque la totalité du pays. L’économie des villages se développe et la criminalité a fortement baissé. Pour info, il manque encore un faible pourcentage de la route du Caire jusqu’au Cap pour qu’elle soit totalement recouverte de goudron. Ce qui a permis il y a quelques mois à un groupe de cyclistes de battre le record de la traversée du continent, 10 600 km en 38 jours… Un autre monde.
Eux pour sûr il ne dormait pas en tente. On me met alors en garde de toutes les petites bestioles présentent ici. Les scorpions par exemple, mais surtout les serpents ! Quelques dangereux se trouvent dans le coin, Black Mamba, Cobra, Python…
Au Kenya on conduit à gauche. Je me suis toujours demandé quelle logique est utilisée pour passer d’un pays où l’on roule à droite, à un autre où on roule à gauche. J’avais échafaudé des plans complexes (tunnels, ponts, feux de circulation…), en fait ici pas du tout, c’est un gros bordel sans stop ni marques au sol.
Le nord du Kenya est vide et plat. Cette fois-ci je suis seul, finie la surpopulation éthiopienne.
Le vent est très puissant, ami de dos, ennemi de face. Malheureusement cette fois-ci il joue dans le camp adverse et pendant deux jours je lutte contre les forces levées par la nature. La tempête amène parfois de grosses pluies. Des nuages noirs se précipitent vers moi, ici pas d’abri, la seule solution c’est d’avancer. Par chance le bitume est neuf. Pour la Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud en 2010, les locaux m’ont dit que de nombreuses personnes ont tenté de traverser le continent à vélo. Pendant des mois ils voyaient ces voyageurs s’embourber dans la route qui était encore terrible.
Retrouver le calme et la bonne route me fait croire que des ailes m’ont poussé dans le dos. Je m’inflige face au vent terrible une journée à 125 kilomètres pour rejoindre le confort d’une mission catholique. Mais la route vous remet très vite dans le droit chemin et vous rappelles qu’il ne faut avoir aucune attente. Arrivé exténué à Marsabit, je me dirige vers l’église catholique. Le curé finit sa messe à 17h30. J’ai beau me rapprocher de l’équateur, ici il fait frais et je rêve de rejoindre le confort d’un lit et la chaleur humaine. Le prêtre est Costaricain, « génial » me dis-je en commençant à lui parler espagnol. Malheureusement le prête en charge de la mission est un vieil Italien qui déteste les gens en itinérance et qui refuse systématiquement ce genre de sollicitation. Je demande si je peux au moins planter ma tente quelque part, mais il ne veut pas. Adrian le prête avec qui j’ai sympathisé me montre tout de même un endroit où je peux poser mon campement.
En soit ce n’est rien, seulement une nuit de plus sous ma tente. Un détail gênant quand même, mon matelas gonflable à un défaut et depuis quelques mois il se dégonfle de plus en plus. En moyenne je dois le regonfler 4 fois par nuit, réveillé par la dureté du sol… Et puis j’ai quelques problèmes mécaniques qu’il faut que je règle avant de reprendre la route.
Sans attentes, pas de peine ni de déception. J’en prends encore une fois leçon.
Le lendemain je me réveille dans les nuages. Les bombolinos éthiopiens et le beurre de cacahuète me manquent, ici c’est pain de mie goût plastique avec margarine sans saveur (oui, je n’ai pas tout détesté en Éthiopie).
La piste est en mauvais état, mais je descends une bonne partie de la matinée. La fraîcheur des montagnes laisse place à la chaleur étouffante d’un plateau. Ici toujours pas de girafes, d’éléphants ou de zèbres. Seules des gazelles et des babouins.
Je suis un peu inquiet, en effet je n’ai plus que 200 Shillings (moins de 2 €) et dans le peu des villages que je traverse, il n’y a pas de banque et personne n’échange d’argent. Il me reste encore deux jours avant d’arriver dans la prochaine ville. J’accepte ma condition et me dis qu’il n’y a pas d’autre choix que d’avancer. Mais le destin en aura décidé autrement, un homme rencontré sur la route m’offre 1000 ShK (10 $), je refuse mais il insiste. Comme quoi rien ne sert d’avoir des attentes.
Je rencontre aussi sur ma route la tribu cousine des Masaïs, les Samburus. Au début je croyais qu’ils s’habillaient d’habits traditionnels très colorés pour les touristes. Au final je me rends compte premièrement qu’il n’y a pas de touristes et dans un second temps qu’ils se baladent en bord de route avec leurs chèvres et leurs ânes habillés de la même manière.
Pendant quelques jours je vois cette tribu partout. J’ai l’envie irrésistible de les prendre en photo, mais je me suis imposé une règle. Avant de prendre le cliché d’un portrait je dois d’abord avoir échangé un minimum et obtenir sa permission. Cependant rencontrer les Samburus n’est pas si facile, surtout discuter avec eux dans leur langue locale. Ici l’éducation est très limitée et aucun ne parlent anglais.
Une fois je rencontre un petit berger d’à peine 10 ans revêtu d’un simple drap au niveau de la taille et de dizaines de colliers plus colorés les uns que les autres dont un énorme de perles rouges, blanches et orange, large d’au moins 10 centimètres. Les perles sont faites à partir de verre recyclé qu’ils fondent et mélangent avec divers colorants à base de céramique.
Plus loin sa mère le suit. Son crâne est rasé, ses lobes sont troués, de lourds pendentifs qui distendent sa peau y sont accrochés. L’hélix, la partie supérieur de l’oreille en cartilage est aussi percé et décoré.
Leurs poignets sont recouverts de nombreux bracelets bleus, orange, rouges, marron…
Que ce soit chez la femme, l’homme ou l’enfant, ces bijoux ne sont pas là par hasard. Le nombre et leur position ont une fonction sociale et rituelle qui définit leur statut et leur classe d’âge.
Si une jeune femme orne peu de colliers, elle est célibataire. Si le nombre augmente c’est qu’elle est déjà promise. On reconnaît alors une femme mariée à ses lobes troués décorés de perles.
Chez les hommes, les rites d’initiation accomplis sont représentés par leurs piercings et bijoux.
Comme les Masaïs, les Samburus sont un peuple semi-nomade, éleveur de bétails et guerriers. Le nombre de tête d’un troupeau dirigé par l’homme adulte représente son statut et le respect qui doit venir avec. Il n’est pas rare de les voir avec une lance ou une machette à la main. Pour rigoler, certains me courent après, brandissant leurs armes et criant à tue-tête.
Cependant je n’ai pas osé prendre la photo de ce petit berger ou des dizaines de familles croisées, enfin j’ai essayé une fois, mais à la vue de mon appareil photo ils sont partis en courant. Peut-être avaient-ils peur que j’enferme leur âme dans mon appareil comme certaines croyances… Le souvenir, lui, restera gravé à jamais dans ma tête, plus important qu’un cliché non !?
A Merille, je passe une frontière imaginaire démarquée par une rivière. La partie nord, ils l’appellent Kenya B, au sud Kenya A. La dernière se veut plus développé. Cependant la route principale bientôt finie commence déjà à avoir des effets positifs sur l’économie des villages qui la bordent.
Je découvre ici un repas qui va m’accompagner les prochains mois à travers les prochains pays. Au Kenya ils le nomment « ugali ». Tout dépend de la région et des récoltes, mais en général l’ugali est fait à partir de farine de maïs mélangée avec de l’eau. Après cuisson, le résultat ressemble à de la polenta mais fadement blanche et plus ou moins consistante. On la mange avec les mains accompagnés de viande ou de légumes.
Depuis que je me suis remis de ma typhoïde éthiopienne, je n’arrête pas de manger. En règle générale, je mange le midi un plat d’ugali et légumes, suivi de riz et haricots (le fameux Rice & Beans).
Ce que j’adore ici au Kenya c’est le thé au lait qu’ils servent partout accompagné de chapati, les galettes de pain d’influence indienne. Les pauses se font alors au rythme de ces petits restaurants.
A Isiolo je m’octroi une pause de deux jours. J’arrive enfin à trouver une banque et du wi-fi qui me laisse échapper un temps à ma solitude.
Au Kenya, les missions catholiques sont nombreuses, mais difficiles d’accès. J’apprends petit à petit pourquoi, et la raison me laisse sur le cul ! En fait les dernières années le Kenya est lui aussi atteint de terrorisme (ça j’étais au courant) et les églises sont souvent visées, selon eux je ne serais pas en sécurité ici. Étrange quand on pense qu’auparavant en cas de danger on allait se réfugier dans les églises. Encore plus bizarre c’est quand on me dit que ma présence engendrait trop de questions puisque je pourrais être un espion !
A Nanyuki, le père d’origine italienne m’offre complètement 1000 ShK, ce qui représente 10$ pour me payer une nuit à l’hôtel. Bien entendu je refuse mais repars quand même avec… Alors que je recherche un hôtel, je rencontre sur le chemin Daniel, qui impressionné par mon paquetage, me propose de dormir dans sa ferme. A 42 ans il est revenu chez sa mère pour se lancer dans une formation de pasteur et en même temps s’occuper de la ferme familiale. Sa mère étant partie en « safari », ce qui signifie voyage en swahili, appelle une amie pour nous préparer à manger. J’ai extrêmement honte et lui dit que je peux m’en occuper. Mais non ici c’est comme ça, en plus quand son amie arrive, elle a l’air heureuse de cuisiner et de passer un bon moment avec nous.
Au lieu de déballer ma tente il me propose de dormir dans une maisonnette au fond du jardin. J’accepte avec plaisir, mais une fois la nuit tombée, je me rend compte que la chambre est remplie de grosses araignées… Elles sont partout ! Je suis terriblement content d’avoir la protection de ma moustiquaire !
Au réveil, Daniel s’occupe de traire la vache pour le thé matinal. Je ne m’en passe pas d’en boire.
En quittant Nanyuki, je passe la ligne de l’équateur. Nous sommes le mercredi 2 décembre 2015, à peine 8 mois que je suis parti de Bretagne et j’ai parcouru 11 600 kilomètres.
Il me reste encore deux jours pour arriver à la capitale du pays, Nairobi.
Depuis l’Ethopie mes journées sont plus calmes et moins stressantes avec la population locale. Il faut quand même le reconnaître qu’ils savent toujours faire la différence. Finis les « farenje », en Swahili pour dire blanc ils disent « muzungu ». Les variantes sont en général « America America ! » ou « Johnny Johnny ». Et puis il y a un peu de mendicité mais beaucoup moins que dans son pays voisin.
J’arrive finalement à Nairobi. Il m’a été difficile de trouver quelque part pour me loger dans l’attente de Jordi (Lost In the World) qui doit venir me rejoindre dans 10 jours. Au final une famille trouvée sur Couchsurfing m’accueille pendant ce temps.
Je profite pour découvrir la ville et faire une pause bien méritée. J’obtiens mon visa Tanzanien en 10 minutes.
La ville est une capitale Africaine comme je les aime. En regardant de loin c’est un gros foutoir. Seules les rues principales sont bitumées, le reste est en terre. Certaines ruelles sont de vrais champs de bosses ou complément des marais à cause de l’eau qui reste stagner. La circulation est terrible, la pollution, la chaleur et la poussière n’arrangent rien.
Cependant le centre-ville est assez moderne, de hauts immeubles tendent à gratter le ciel et de grandes enseignes sont présentes.
En sortant du centre, la ville est entourée de rues spécialisées dans différents domaines. Si on a besoin d’acheter un lit, il y a une rue dédiée, si on a besoin de réparer ses appareils électroniques il y a cette rue aux centaines d’échoppes, de même pour le bois, le tissu, le métal, les produits ménagers… Tout ça ressemble à un vrai chaos, mais à y regarder de plus près on se rend compte que tout est organisé et qu’il y a un vrai savoir faire de la débrouille !
Le 10 décembre, Jordi de Lost in the World (anciennement Home Run) me rejoint à Nairobi par avion. L’histoire est rigolote puisqu’en réalité on ne sait jamais vu. Jordi à 21 ans comme moi. Il était parti lui aussi de France pour un tour du monde à vélo six mois avant moi. La différence est qu’il était parti avec ami direction l’Espagne, le Portugal puis le Brésil. Au bout de quelques mois, l’entente avec son compagnon de voyage ne marchait plus. Plutôt que de se gâcher leur voyage l’un et l’autre, ils décident de se séparer. Leur voyage devait durer ensemble quelques années, une telle décision n’était donc pas à prendre à la légère. Tandis que son ami partait pour de nouvelles aventures non cyclopédiques aux Etats-Unis, Jordi enfourchait sa fidèle bicyclette Pégasse et s’en allait seul vers la Patagonie.
J’avais découvert son aventure via Facebook. Depuis, nous échangions régulièrement.
Après avoir voyagé huit mois et avoir été accompagné pendant deux mois par un autre ami, il a décidé que la Bolivie allait être la fin de ce premier chapitre. Oui en effet il a décidé de rentrer en France, mais ce n’est pas le point final de son épopée. Il s’est rendu compte qu’un voyage 100% vélo n’était pas fait pour lui. Il a alors décidé de repenser sa manière de découvrir le monde. Alpinisme, ski, randonnée, moto… il lui reste encore le champ des possibles !
Cependant il n’a pas mis de côté sa bicyclette, et sachant que je me trouvais en Afrique, il a décidé sur un coup de tête de venir me rejoindre pendant deux mois. Au programme, Kenya, Tanzanie, Malawi, Mozambique et Zimbabwe. Tout ne se passera pas comme prévu, mais en tout cas il est bien arrivé à mes côtés à Nairobi.
Dès le début nous avons une très bonne connexion. En une demi-heure nous avons remonté son vélo et nous voilà partis direction nos hôtes. Il faut se mettre deux secondes à la place de Jordi. L’hiver commençait déjà à arriver en France quand il a décollé, à son atterrissage il faisait bien 30°C. Le décalage horaire était seulement de deux heures, donc pas dramatique, mais la circulation à l’anglaise et le trafic à l’africaine est une épreuve pas facile, mais que Jordi a réussie à emporter haut la main.
L’entente avec nos hôtes n’étant pas la meilleure, dès le lendemain nous repartons sur les routes. D’abord petit crochet par l’ambassade Tanzanienne pour le prochain visa de Jordi puis c’est parti !
Dans ses sacoches il avait ramené un précieux cadeau pour moi, du chocolat ! Ma motivation est au beau fixe malgré la route désagréable, la compagnie ça fait du bien, la dernière fois c’était avec Marcelo en Egypte il y a plus de deux mois. En plus on rigole bien et le rythme est bon. Cependant, Jordi n’est pas dans la même philosophie et la reprise est pour lui difficile. La vue de nos premières girafes le remet quand même d’aplomb.
Le soir nous tendons nos hamacs dans une des classes de l’école où nous avons élu domicile pour la nuit.
Le lendemain nous sommes excités par l’approche du Kilimandjaro. Malheureusement, ce sommet aux neiges éternelles est connu pour se cacher bien trop souvent dans les nuages. Et puis en fin de journée la pluie fait son apparition, nous trouvons refuge dans une petite église. Une fois n’est pas coutume, nous attirons la curiosité des habitants. Ils sont Maasaïs mais seulement certains adultes portent l’habit traditionnel. Les enfants ont tout de même une marque qui les attachent à leurs origines. Sur chaque joue, leur peau a été scarifiée d’un petit cercle. Une atroce douleur selon eux.
Le jour suivant, partis en direction de la frontière tanzanienne Loitoktok, le sommet du Kilimandjaro se dévoile pour dix minutes. Assez pour prendre une photo, pas pour les yeux.
Je traverse la frontière avec une certaine excitation, dans deux semaines mes parents viennent me rejoindre à Dar-Es-Salaam pour les fêtes de fin d’année. Jordi, lui, passe en Tanzanie avec plein de questions en tête. Son corps est bien ici, par contre son esprit semble être ailleurs…
Vivement la suite….! Merci pour le récit et les photos. Kénavo !
Merci pour ton mail.Sympa le récit africain.Hâte de te lire . Bon vent
Marlène