Une fois avoir fini la traversée à vélo du continent Africain, j’avais la sensation de rester sur ma faim. L’impression qu’il me manquait quelque chose avant de lui dire au revoir et de partir explorer un nouveau coin du monde.
Quand on pense “Afrique”, on pense en général aux animaux sauvages. À part quelques rencontres d’autruches, d’éléphants, de girafes… je n’ai pas eu l’occasion de me trouver face à face avec les plus grands félins. Vous allez me dire heureusement puisque je voyage sur un vélo !
Je n’ai pas envie de payer une journée safari dans un parc où les animaux vivent dans un périmètre clôturé comme dans un zoo. Je n’ai pas non plus les moyens de me financer une expédition de plusieurs jours dans une réserve.
J’ai trouvé une solution après quelques recherches et dans un podcast sur le site de Michael (Traverser la Frontière). Différentes compagnies recherchent des interprètes pour traduire les guides parlant anglais. En général les langues recherchées sont le français ou l’allemand.
J’envoie quelques mails à différentes compagnies et je suis contacté par Bush Ways au Botswana. Après quelques questions du genre « Avez-vous déjà campé ? », « Avez-vous déjà vécu hors du confort quotidien sans pouvoir laver vos vêtements pendant plusieurs jours ? » et d’autres un peu plus classiques. Vous l’aurez compris, j’avais le profil.
Je pars ainsi fin juin 2016 du Cap en auto-stop. Mon vélo et moi allons faire une pause pour un temps.
Je m’aventure dans 3000 km avec un sac à dos jusqu’à Maun au Botswana. Mon itinéraire suit la Garden Route jusqu’à Port Elizabeth, puis je rejoins Johannesburg afin de visiter d’autres amis du festival Afrikaburn. L’aventure est bien différente avec mon pouce que sur deux roues. En Afrique du Sud les gens sont plus craintifs, soit ils détournent du regard, soit quand ils finissent par s’arrêter ils demandent de l’argent. L’habitude de demander une rétribution vient des nombreuses personnes en bord de route tendant la main avec un billet entre les doigts. Difficile de se faire prendre sans transaction.
J’arrive finalement à la frontière du Botswana. Une fois dans le pays il est plus facile d’avancer. Les gens sont adorables et sont contents de m’aider.
À Maun je suis accueilli par Terence, le chef des opérations de Bush Ways. Entre deux safaris, les traducteurs séjournent dans un logement aménagé dans les locaux de l’entreprise. En cette saison, nous sommes 4-5 traducteurs. Russes, Allemand, Suisse et Français, pour traduire l’allemand ou le français. Les autres langues sont optionnelles.
Je suis embauché pour le mois de juillet, août et septembre. Dans l’hémisphère sud c’est l’hiver, le temps est plus agréable et sec. L’avantage est que les arbres et buissons ont perdu leurs feuilles et c’est ainsi plus simple de repérer les animaux sauvages. Celui qui préférera l’ornithologie et les fleurs reviendra l’autre moitié de l’année en saison des pluies.
Bushways propose des séjours en safaris allant d’un simple week-end à deux ou trois semaines. Ces sur ces derniers que les services d’interprétation sont offerts. Lion, Leopard, Hyena, Elephant ou Eagle, il y a différents noms de safaris avec différents itinéraires pour tous les goûts.
Trois formules existent, pour trois expériences différentes. Une est la Semi-Participation où les clients montent leur tente et participent à la vie du camp. Une autre est le Fully Service comprenant des tentes plus luxueuses déjà monté arrivé sur place. L’autre option, moins aventureuse, est celle de lodge à lodge, bien plus coûteuse.
Par chance je me retrouve dans l’option qui me va le mieux, la Semi-Participation. L’échange avec les clients est beaucoup plus sympathique puisqu’on loge tous à la même enseigne. Mon travail consiste non seulement à traduire le guide, mais aussi à l’accompagner avec le cuisinier sur les différentes tâches pour rendre le séjours des touristes agréable. Aider à monter le camp, c’est-à-dire installer une douche mobile et creuser à chaque fois les toilettes. La remorque que nous transportons pour les bagages comprend aussi le garde-manger et la cuisine. Nous installons à chaque fois des tables et des tabourets. J’aide le cuisinier à préparer les repas et les clients sont bienvenus à mettre la main à la pâte s’ils le souhaitent. Plus il y a de volontaires, plus l’inertie du groupe est bonne. De vrais bons moments de partage.
Les séjours se limitent à 12 personnes pour que tout le monde est une bonne place dans le 4×4. Ces derniers sont des Land Rover Defender modifiés par Bush Ways. Des modèles uniques ! Ils passent vraiment partout.
Chaque safari réuni des individus différents. Voyageurs solitaires ou famille, jeunes ou plus âgés, français ou de différentes nationalités… Ainsi je ne m’ennuie pas pendant ces séjours pouvant atteindre trois semaines. On parle parfois philosophie, géologie, écologie, politique, expériences de vie, blagues, énigmes, débats, voyages… à chaque groupe sa particularité. J’essaye à chaque fois de la trouver et d’animer entre deux étapes afin qu’il n’y ait pas seulement le souvenir des animaux à leur retour du safari, mais d’un bon moment passé tous ensemble.
Le Botswana est pour moi le meilleur pays pour découvrir la faune et la flore africaine. D’Europe, beaucoup se dirigent vers la Tanzanie, le Kenya ou l’Afrique du Sud, connus pour leurs grandes réserves. Le Botswana est moins prisé et c’est ce qui fait partie de son charme. Dans certains parcs il est parfois rare de rencontrer d’autres voitures et l’expérience reste alors plus authentique. Le pays regorge de merveilleux endroits à découvrir et ce sont ceux que j’ai découvert que je vais vous parler maintenant.
Au-dessus de la ville de Maun se trouve la réserve de Moremi. Elle a été proclamée ainsi par le peuple local en 1963 afin de stopper la chasse non contrôlée qui détruisait tout à vitesse affolante. Avec le temps, ceux qui vivaient toujours dans le bush ont été déplacé dans un village au bord de la rivière Khwai.
Étant donné que nous ne sommes pas dans un zoo, nous devons être à l’affût de tout mouvement pour voir par exemple une oreille de lionne qui dépasse des hautes herbes, la queue d’un léopard dans un arbre, écouter le cri des hyènes… heureusement les guides sont tous de très bons traqueurs.
Le simple fait de voir un groupe de girafes regarder toutes dans la même direction a mis une fois le guide sur une piste. Elles se trouvaient à plusieurs centaines de mètres et nous voilà partis pour dénicher ce qui se trouve dans les buissons. Le guide slalome habilement entre les broussailles à bonne allure puis je dis » Stop ! ». Devant se trouvait un léopard. Son nez encore rose indique qu’il est encore très jeune et ça se voit. Intrigué par le véhicule, peut-être le premier qu’il voyait de si près, il en fait le tour pendant 10 minutes. Dans la voiture nous sommes une dizaine, mais lui ne voit que la voiture dans son ensemble, à ses yeux nous ne faisons qu’un. C’est pour ça que même sans fenêtre il ne nous attaque pas.
Bien qu’il y ait plus de léopards par rapport aux lions, ils sont beaucoup plus difficiles à trouver.
Par contre leurs proies sont partout. L’impala, la gazelle qui se trouve à tous les coins reconnaissable avec un « M » dessinée sur son postérieur, est appelé aussi le McDonald’s de la brousse.
Avant de commencer ce travail, j’étais un peu sceptique. Je voyais les safaris comme une certaine intrusion dans la vie sauvage animale. Une sorte de zoo à grandeur nature. Cependant au Botswana c’est différent. Je trouve les guides très respectueux, ils gardent toujours une certaine distance afin de ne pas rentrer dans la zone de confort des animaux. Une des raisons principales est que le port d’arme est interdit, contrairement à de nombreux autres pays voisins.
Pendant quasi la totalité du séjour nous campons directement dans les réserves. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de barrières ou autres protections autour de notre camp. Parfois, quand la lune est de sortie, à travers les moustiquaires de nos tentes, nous pouvons observer hyènes, lions et autres prédateurs passer dans le camp. Entre eux et nous il n’y a rien de plus qu’une fine toile, assez pour ne pas se faire manger tout cru ! Tant qu’il n’y a pas de lumière dans la tente, nous pouvons les voir, eux non.
Plusieurs fois je me suis retrouvé face à face avec des éléphants ou même des hyènes. La règle d’or dans chacune des situations est de garder son calme et de ne pas faire de mouvements brusques. Les accidents sont toujours dus à la bêtise humaine.
La nuit, pour les plus téméraires avec une envie pressante, il suffit de contrôler les alentours avec sa lampe torche. Si deux yeux brillants apparaissent dans les buissons il faudra être patient. Pour ne rien risquer, certains fabriquent des pots de chambre en coupant le fond d’une bouteille d’eau de 5 litres.
Le parc national de Chobe est le lieu le plus touristique du pays. Sa partie nord étant à la frontière de la Namibie, de la Zambie et du Zimbabwe, ça en fait un lieu de forte affluence. Le Botswana et la Namibie sont séparés par la rivière Chobe. Ce lieu regroupe parfois des centaines de buffles et d’éléphants, voire milliers. Beaucoup de gazelles et d’autres proies attirent quotidiennement lions et léopards, spectacle assuré (enfin presque, c’est la nature).
Dans certaines formules de safaris il est possible de faire un tour de bateau sur la rivière au coucher du soleil. Les buffles traversent parfois à la nage afin d’accéder à des îlots où ils pourront se nourrir sans se préoccuper des prédateurs. Les éléphants les plus âgés s’y rendent aussi afin de profiter des herbes tendres. La mastication des branches rugueuses dans leur jeunesse a usé leur quota de cinq couches de molaires qui poussent en continu. Certains ne peuvent même plus s’alimenter et meurent à cause mal nutrition.
Voilà, en autres, quelques anecdotes que j’ai apprise durant les safaris :
- Les éléphants sont comme nous, gauchers ou droitiers. Ils utilisent toujours plus une défense que l’autre, plus petite à cause de l’usure.
- Pour reconnaître si une girafe est femelle ou mâle, il n’y a qu’à regarder si ses cornes sont poilues ou non. Les petites cornes velues sont celles des femelles puisque les mâles usent leurs cornes plus massives pour les combats. Ils en perdent donc leurs poils. Quand les girafes s’affrontent, je vous assure, c’est triste à voir.
- Les autruches mâles sont noires et couvent les œufs la nuit, les autruches femelles sont grises et couvent le jour.
- Le pénis du lion, ainsi qu’un grand nombre d’autres mammifères, est pourvu d’un os. Le détail douloureux, pour les femelles, est qu’ils ont à l’extrémité de leur organe des épines… L’évolution nous à faire perdre cette caractéristique chez l’être humain.
- Les hippopotames peuvent peser plus de 3 000 kg. Ils sont obligés de se reproduire dans l’eau pour profiter de l’effet d’apesanteur.
- Un groupe de lions d’une vingtaine d’individus existait encore il y a quelques années à Savuti. Cette horde organisée avait mis en place une technique pour tuer les éléphants. Une réponse au changement climatique afin de survivre.
- Marcher à pas d’éléphant ne devrait pas désigner un marcheur bruyant, au contraire les éléphants sont incroyablement discrets grâce à leurs pattes composées en autres de cartilage et de graisse.
- Afin de traquer les éventuels braconniers se prenant aux rhinocéros, on leur implante directement dans leurs cornes des puces électroniques.
Ma partie préférée du tour est celle qui suit notre passage dans la bande de Caprivi, la partie nord du delta de l’Okavango. Tout dépend du circuit, dans certains safaris c’est la partie sud qui est visitée, très belle aussi, mais mon coup de cœur est plus au nord. Le delta s’est formé à la suite d’un tremblement de terre. Alors que le fleuve de l’Okavango se jetait dans l’océan Indien, il disparaît maintenant dans le désert du Kalahari.
Afin d’accéder à un îlot qui nous fera guise de campement, il nous faut en quitter la route trente minutes sur une piste sableuse et parfois inondée. Puis ce sont une vingtaine de minutes de bateau à moteur dans les larges canaux du delta qui amène à la rencontre des conducteurs de mokoros, les pirogues locales. L’aventure continue dans les canaux tracés par les hippopotames à travers les roseaux et papyrus. La tension est palpable puisque nous sommes sur le territoire de l’animal le plus meurtrier de la jungle après le moustique, je parle bien de l’hippopotame. Il n’hésitera pas deux secondes à broyer de ses grandes dents quiconque le dérangera, puis étant herbivore, le recracher. Heureusement les guides en mokoros traversent ces marais depuis leur enfance et détectent n’importe quels signes, bulles, vagues, grognements. Il arrive quand même parfois qu’il y ait quelques surprises et qu’un hippopotame surgisse et bouscule une embarcation avant de s’enfuir à 40 km/h sous l’eau !
À part ça, pas de grands dangers. Ici les lions, léopards et autres prédateurs n’accèdent pas à cette zone du delta trop inondée. Par contre il y a plein d’éléphants, de crocodiles, de gazelles et des milliers d’oiseaux.
Après une demi-heure de navigation nous accédons enfin à l’îlot où nous établirons notre campement pour les deux prochaines nuits.
La zone est vraiment magique, j’ai beau essayer de prendre des photos afin de partager l’endroit, mais ça ne reflète pas l’énergie des lieux.
Plusieurs fois nous partons explorer les alentours, sans un mot, seul le bruit de la faune et la flore et des pirogues glissants sur l’eau cristalline. Les guides nous partagent leur savoir sur les plantes et leur culture.
Sans les éléphants, les hippopotames et les termites, le delta aurait un autre visage. En effet, l’origine des îlots vient des termitières. Les hippopotames créés des canaux et ouvre de nouveaux passages afin que l’eau circule. Les éléphants plantent par leurs excréments les graines qu’ils ne digèrent pas.
Durant la nuit on entend les hippopotames grogner. Au matin, avec un peu de chance, des éléphants apparaissent dans les premiers rayons du soleil orangés traversant la brume. L’attention est d’abord attirée par leurs grands pas dans l’eau fraîche, puis on aperçoit un bout de trompe arrachant quelques branches. Au final ils s’approchent de plus en plus attirés par les différents arbres fruitiers dont le Marula, qui à grande dose peut les enivrer comme nous avec la liqueur crémeuse d’ Amarula.
Afin de quitter cet endroit spécial d’une manière qui l’est tout autant, il est proposé au groupe de retourner à Maun par les airs dans un petit avion afin de prendre de la hauteur sur le delta. J’ai eu plusieurs fois la chance de les accompagner. En plus de voir les canaux serpenter dans des grandes étendues vertes, il est possible de voir tous les animaux de la savane.
Une fois, la nature nous a offert la possibilité de survoler quelque chose de rare au Botswana, une femelle rhinocéros et son petit. Dans d’autres pays ils sont plus simples à croiser, ici ils sont surprotégés par les militaires. C’est pour tout le monde un moment très spécial, même pour le pilote qui effectue ce vol régulièrement, c’est la première fois depuis des années que ça lui arrive.
En dehors des safaris, le Botswana est un pays très agréable à vivre. Les habitants sont très gentils et respectueux.
Le pays a connu la colonisation britannique qui s’est passée sans heurts. Le drapeau est composé d’une ligne noire centrale entourée de deux lignes blanches, afin de représenter l’harmonie des deux peuples. Puis le tout est entre deux lignes bleues représentant la pluie, « pula » en Tswana la langue locale, qui est aussi la devise du pays.
Le symbole animal du pays est le zèbre.
Lors du passage dans le Kalahari, nous faisons la rencontre des San, peuple qui serait installé en Afrique Austral depuis plus de quarante millénaires.
Ce groupe rencontré ne vit plus comme leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs, mais s’est urbanisé. Ils arrivent donc en jean et T-shirt, puis se dirigent dans un coin et en ressortent en habit traditionnel. Ils nous confessent qu’ils ne peuvent plus vivre comme avant depuis que la chasse est interdite. Le gouvernement a mis en place des villages proposant soins médicaux, école, eau, électricité… Par contre il leur est important de conserver et de partager leurs savoirs avec les futures générations.
Nous les rencontrons aussi dans le nord du pays à Tsodilo Hills. Là se trouvent quelques milliers de peintures rupestres, certaines datant d’il y a plus de 20 000 ans. Ainsi nous pouvons voir l’évolution des animaux présents dans la région et des coutumes, mais aussi l’arrivée du peuple Bantou. Pour faire court, les Bantous ont la peau noire et viennent d’Afrique Centrale et les San ont la peau plus claire peuplant depuis des millénaires cette région du monde.
Chaque séjour se termine en Zambie aux chutes Victoria. En cette saison le débit est très faible. Heureusement j’avais eu l’occasion de les visiter quelques mois plus tôt à vélo.
Cette expérience professionnelle a été très enrichissante. Seconder le guide m’a permis d’en connaître plus sur les ficelles du métier. Le partage de connaissance en milieu naturelle de la vie sauvage, du comportement des animaux, des traces de pas, des odeurs, des sons, des oiseaux, des plantes, me plaît bien et m’inspirent peut-être pour des projets futurs.
J’en ressors un peu »rassuré » puisque je me rends compte qu’il est encore possible pour moi de travailler…
Côté finance, pour les curieux ou les intéressés, les traducteurs sont payés en moyenne 30 dollars américains par jour, plus les pourboires. Le tout nourrit et logé. Donc n’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés par ce job, pour un mois ou pour un an, je peux vous mettre en relation avec la compagnie.
Si vous êtes intéressés pour partir dans ce genre de safari en tant que touriste, cela vous coûtera environ 4000 € par personne pour un séjour en semi-participation de plus de quinze jours, billets d’avion, nourriture et logement compris.